La gloire de mon père

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LA GLOIRE DE MON PERE

1 - Deux années passèrent: je triomphai de la règle de trois, j'appris - avec une joie inépuisable - l'existence du lac Titicaca, puis Louis X le Hutin, hibouchou-genou et ces règles désolantes, qui gouvernent les participes passés./ Mon frère Paul, de son côté, avait jeté son abécédaire,// et il abordait le soir dans son lit, la philosophie des pieds nickelés.///

2 - Une petite soeur était née, et tout justement pendant que nous étions tous les deux chez ma tante Rose, qui nous avait gardés deux jours, pour faire sauter les crêpes de la Chandeleur./

Cette invitation malencontreuse m'empêcha de vérifier pleinement l'hypothèse audacieuse de Mangiapan, qui était mon voisin en classe,// et qui prétendait que les enfants sortaient du nombril de leur mère.///

3 - Cette idée m'avait d'abord parue absurde: mais un soir, après un long examen de mon nombril, je constatai qu'il avait vraiment l'air d'une boutonnière avec, au centre, une sorte de petit bouton:/ j'en conclus qu'un déboutonnage était possible, et que Mangiapan avait dit vrai.//

4 - Cependant, je pensai aussitôt que les hommes n'ont pas d'enfants: ils n'ont que des fils et des filles, qui les appellent papa, comme les chiens et les chats./ Donc, mon nombril ne prouvait rien.// Tout au contraire, son existence chez les mâles affaiblissait grandement l'autorité de Mangiapan.

Que croire? Que penser?///

5 - En tout cas, puisqu'une petite soeur venait de naître, c'était le moment d'ouvrir les yeux et les oreilles, et de percer le grand secret./

C'est en revenant de chez la tante Rose, comme nous traversions la Plaine, que je fis, dans le passé, une importante découverte: depuis trois mois, ma mère avait changé de forme,// et elle marchait: le buste penché en arrière comme le facteur de la Noël.///

6 - Un soir Paul, avec un air d'inquiétude, m'avait demandé: "Qu'est-ce qu'elle a, notre Augustine, sous son tablier?"

Je n'avais su que lui répondre.../

Nous la retrouvâmes, souriante, mais pâle et sans force, dans le grand lit. Auprès d'elle, dans un berceau, une petite créature grimaçante poussait des cris de mirliton.// L'hypothèse de Mangiapan me parut démontrée, et j'embrassai ma mère tendrement en songeant à ses souffrances au moment où il avait fallu déboutonner son nombril.///

7 - La petite créature nous parut d'abord étrangère. De plus, notre mère lui donnait le sein, ce qui me choquait beaucoup et qui effrayait Paul./ Il disait: "Elle nous la mange quatre fois par jour."// Mais quand elle se mit à tituber et à bégayer, elle nous révéla notre force et notre sagesse, et nous l'adoptâmes définitivement.

Marcel Pagnol (1957)

   

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La commune de Vielle Adour

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La citation 

"Vous pouvez amener un enfant

à l'école, mais vous ne pouvez pas

le forcer à réfléchir."

Elbert Hubbard

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